ENTRETIEN AVEC GINETTE GARCIN


Chacun connait le rôle capital que Ginette Garcin a joué dans l'orchestre de Jacques Hélian.
Sollicitée depuis longtemps pour écrire un témoignage comme l'ont fait, dans ces pages, d'autres anciens de l'orchestre, elle n'est jamais parvenue à passer à l'acte... D'où l'idée de cet entretien.

Ses propos, souvent détonnants, tour à tour provocateurs et émouvants, montrent qu'au bout de 57 ans, elle n'a toujours pas "digéré" son "éviction" de l'orchestre. "Il m'a foutue à la porte" dit-elle à plusieurs reprises; sans oublier d'ajouter: "J'ai été virée", pour enfoncer le clou. "Il m'arrive encore d'en rêver, mais de moins en moins"... Mais a-t-elle vraiment été virée?

Voici l'intégralité de cette conversation enregistrée le 8/08/2008. (date fétiche?) RF


Ecouter un extrait de l'entretien
(Il faudra tendre l'oreille)

Roland Fauré: Bonjour Ginette Garcin. Comment allez-vous?


Ginette Garcin: Et bien écoutez, je vais très bien. Je suis pour deux jours à l'Ile de Ré parce que je tourne à Bordeaux pour "Famille d'accueil", la "série phare" de FR3.


RF: Oui, on vous voit beaucoup en ce moment, vous êtes très active; Au théâtre, à la télévision où justement FR3 passe, en ce moment, une rafale de rediffusions de "Famille d'Accueil". Vos années dans l'orchestre de Jacques Hélian ne sont pas très récentes (!!): vous aviez 19 ans quand vous y êtes entrée...


GG: C'est exact et là j'en ai...(petite hésitation)...80...


RF: Vous y pensez encore?

Dans la série "Famille d'accueil"

GG: Il m'arrive quelquefois d'en réver, mais de moins en moins; mais il est un fait certain c'est que ça a marqué dans ma vie parce que je suis marseillaise et je suis montée à Paris engagée par Hélian. Ce sont des choses que les bons camarades de metier de Marseille "montent", mais ça redescendra vite parce qu'ils ne savaient pas que le talent était là. Excusez-moi de le dire mais je crois que je peux me le permettre parce que je fais partie des gens qui savent tout faire, et il n'y en a pas des paquets: vous savez, j'ai fait vingt ans de danse classique, j'ai fait vingt ans de claquettes, j'ai fait cinq ans de trapèze, j'ai fait du parapente; je ne sais pas si vous voyez, mais c'est pas mal!


RF: Vous vous souvenez des circonstances de votre engagement dans l'orchestre, de l'audition que vous avez passée ...?

GG: Tout à fait. Il y avait à l'époque un impresario à Lyon qui s'appelait René Valéry. Il faisait travailler les gens de Marseille, du Midi, à Lyon, à St Etienne. Il avait entendu parler de moi et il m'avait demandé de venir à St Etienne. A l'époque j'étais jeune et je partais ou avec ma mère ou avec mon père. J'avais rencontré François Périer... et René Valéry auditionnait à Lyon pour Jacques Hélian parce que Francine Claudel allait partir. Maintenant c'est devenu le Syndicat d'Initiative; c'est sur la Place Bellecour. "Ginette, il faut que tu viennes auditionner pour Jacques Hélian". Je suis arrivée, ce que j'ai chanté je ne m'en souviens absolument pas; je sais que ça swinguait parce que c'est ce que j'aimais le plus chanter; et je vois Hélian au milieu de la salle sur une chaise avec un pardessus marron: je le revois comme si j'y étais, avec son paquet de "Camel" à la main...il y a des choses qui vous restent comme ça! Bon, je chante, je fais trois pas de claquettes et... son côté Arménien...il était gai comme un tronc d'arbre voyez...il n'avait pas tellement le sourire, beaucoup d'humour par contre. Il m'a appris l'humour. Il m'a foutue à la porte mais je lui dirai toujours merci de m'avoir appris l'humour. Puis j'ai eu droit à la célèbre phrase: "on vous écrira". J'ai eu un coup de téléphone à Marseille où on m'a dit: "C'est Jacques Hélian: vous êtes engagée".

RF: Alors, pour la chronologie, nous sommes en février 47, vous arrivez dans l'orchestre où vous êtes la seule fille. Quelle est l'ambiance que vous trouvez en arrivant?

IL M'A FOUTUE A LA PORTE MAIS JE LUI DIRAI TOUJOURS MERCI DE M'AVOIR APPRIS L'HUMOUR

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LE PREMIER CHAGRIN DE MA VIE A ETE LA MORT DE JEAN

GG: Ils ont été gentils, charmants...et puis, bon, ils n'allaient pas non plus me sauter dessus!!! Et donc, je répète, je répète, je répète... j'ai une photo d'ailleurs de la première fois que j'ai chanté avec Jacques. Il y avait les sax d'un côté, les cuivres de l'autre et moi, du coup, je ne savais plus où il fallait que je commence! J'avais le trac mais ça s'est bien passé et puis j'étais tellement heureuse! Et voilà, ça a été formidable et tout est parti.

RF: Il y avait encore Zappy Max qui était là, Jo Charrier, et six mois plus tard, c'est l'arrivée de Jean Marco. Vous voulez bien me parler de Jean Marco?

GG: Jean était quelqu'un que j'aimais beaucoup. Il n'y a jamais absolument rien eu entre nous, jamais un flirt ni quoi que ce soit; pas du tout. Que de l'amitié. J'adorais Jean. Je dois dire que le premier chagrin de ma vie a été la mort de Jean. Vraiment... Vraiment. C'était l'horreur. Je n'étais plus dans l'orchestre, il m'avait virée. Hélian m'avait virée.

RF: Oui bien sûr, on en reparlera. Vous avez chanté beaucoup de chansons en duo avec Jean Marco et vous étiez tous les deux au premier plan.

GG: J'ai beaucoup de mal à en parler; j'ai même du mal à écouter, ça me fait

quelque chose.

RF: Etre dans l'orchestre Hélian, c'était aussi beaucoup de travail.


GG: C'étaient des tournées sans arrêt et puis tous les dimanche, nous étions Rue Armand Moisan où nous avions une émission en direct. Nous étions une usine à chansons!

RF: Oui, et il y avait le découpage des chansons. Par exemple dans "La Cane du Canada", là on vous voit sur un film: il y avait une phrase pour Charrier, une pour Patoum, une pour Marco, une pour vous, une tous ensemble: comment faisiez-vous pour ne pas vous prendre les pieds dans le tapis?

GG: Vous savez, il y quand même une chose c'est que nous avions de bonnes plumes; et puis on répétait quand même. On faisait pas ça...C'était vraiment le boulot. C'était dur! Il fallait pas mollir! On répétait toujours rue Caumartin.

RF: Il y avait aussi dans l'orchestre de sacrés musiciens. Il y en a dont vous vous souvenez particulièrement?

GG: Ah écoutez, c'étaient des grands musiciens. C'étaient des mecs qui avaient travaillé avec...Alix Combelle... ou Raymond Legrand. C'étaient des pointures. Et puis est venu Ernie Royal.

RF: Oui, je crois qu'on va en reparler. Et le public, comment était le public? Est-ce qu'il était facile?

GG: Tout était acquis, c'est sûr. Tout était complètement acquis. On arrivait, jusqu'à 27 quand même! Quant à Hélian, il n'était pas toujours très très sympathique... J'ai eu une histoire d'amour avec Ernie Royal, une histoire importante, et j'allais pas me cacher, c'était comme ça. Et un jour il m'a dit: "Je crois que vous couchez avec Ernie Royal". Je lui ai dit: "J'ai pas mis dans mon contrat que je devais vous dire avec qui je couche et avec qui je couche pas..." Et il m'a dit: "Vous comprenez, toutes les femmes qui viennent dans mon orchestre, tous les hommes peuvent se dire: ah celle-là elle peut m'appartenir... j'ai pris une pute ou une chanteuse?" Voilà, voilà! Mais je ne me suis jamais laissée faire.

RF: L'orchestre a évolué vers 1949. Zappy Max et Jo Charrier étaient déjà partis; le groupe vocal féminin "les Hélianes" a été mis en place; puis Ernie Royal est arrivé. Est-ce que vous adhériez à cette évolution? Est-ce que l'orchestre continuait de vous plaire tel qu'il évoluait?

GG: Ah mais bien sûr, moi c'était mon boulot; je me disais: si ça continue, je vais faire des enfants et puis ils prendront la suite...(rires). Mais je sais que lorsqu'il m'a foutue à la porte ça a été un choc pour moi. Mais je le sentais.

RF: Alors, justement, à partir du premier semestre 1951, on vous voit moins, on vous entend moins; dans le film "Musique en Tête" par exemple...

GG: On était à Evian, on faisait la saison, et quinze jours avant la fin, je sentais qu'il y avait quelque chose (1): il cherchait à engager d'autres personnes, parce qu'il était franc comme un âne qui recule... Je vais le voir dans sa loge, je frappe et je lui dis: "Jacques, je sais que vous avez envie de me foutre à la porte, alors, pour une fois, montrez-moi que vous êtes un homme: je vous donne quinze jours."
Le quinzième jour: "Je vois que j'avais raison"
. "Oui, me dit-il, vous comprenez, je vous ai écoutée."-- "Ne soyez pas hypocrite. Vous savez, un jour "Ginette Garcin" sera en gros et "Jacques Hélian " en tout petit, et peut-être même qu'on n'en parlera plus du tout". Je vous assure que c'est vrai. Il a fait un bouquin où il dit: "Nous nous sommes séparés"(1). Je lui ai dit: "Vous n'avez même pas eu le courage de dire que vous m'avez foutue à la porte" Moi, par contre, je l'ai dit à tout le monde. Je ne savais même pas que le cabaret existait, j'ai fait du cabaret et puis j'ai quand même fait une carrière pas si moche que ça.


RF: Vous ressentez de l'amertume?

GG (après un silence): C'est pas exactement de l'amertume; je ne suis pas quelqu'un d'amer, je suis une battante. Simplement, j'ai trouvé que c'était pas digne d'un homme.

RR: Quel est votre meilleur souvenir dans l'orchestre?

GG: D'avoir été engagée pour monter à Paris. Voilà. Et de m'avoir appris mon métier. Je l'en remercie. Il m'a fait donner des cours de chant. Il m'a dit: "Vous avez une voix qui chevrote, on va vous donner des cours de chant".

RF: Alors justement on dit que les grands orchestres de music-hall sont une excellente école parce qu'il faut savoir tout faire. Est-ce que vous estimez que, dans l'orchestre de Jacques Hélian, vous avez appris au moins une partie de votre métier?

GG: Oui, j'ai appris plein de choses, mais pas la danse, pas les claquettes, pas tout ça. J'ai joué des maracas (rires) et puis j'adorais rester (après la fin des concerts NDLR); les gens avaient envie et moi je chantais. C'était le bonheur que de chanter. C'était juste après la guerre, c'était le bonheur de chanter des standards américains. Je chantais en anglais, en espagnol. J'adorais.

RF: Cet orchestre a été l'une des super-vedettes de la décennie d'après-guerre. Comment expliquez-vous que les media n'en parlent pratiquement plus?

GG: Vous voulez que je vous dise? J'en ai rien à foutre! (rires). C'est derrière. Moi, j'ai été sincère en vous disant ce que je vous ai dit. J'ai appris beaucoup, et, (un silence) après Jean et moi, il n'y a pas eu grand chose.

RF: Heureusement, votre carrière artistique ne s'est pas arrêtée quand vous avez quitté Jacques Hélian. Vous avez fait des quantités d'autres choses qu'il serait trop long d'énumérer ici. Que faites-vous en ce moment et quels sont vos projets?

GG: Actuellement déjà j'écris un bouquin. Il va être fini à la fin de l'année et il va s'appeler "Ma Vie de Garcin". J'ai écrit une pièce qui s'appelle "Un Homme peut en cacher un Autre"; ce sera la dernière. "Le Clan des Veuves" va devenir un film. Début du tournage en septembre. "Famille d'Accueil" continue. On me propose des choses mais j'ai 80 berges...je vais pas me tuer au boulot. J'ai la chance de pouvoir choisir.

RF: Vous allez passer plus de temps à l'Ile de Ré?

GG: Sûrement pas, je m'emmerde là-bas. S'il y a un lieu dont je ne peux pas me passer c'est Paris.

RF: Bonne chance pour tous vos projets et merci Ginette Garcin.

GG: Merci à vous. Je suis consciente que je n'ai pas été très gentille avec Jacques. Il n'a pas été très gentil avec moi non plus. Quand il a été très malade je suis allée le voir. J'ai fait un spectacle, il est venu me voir. J'étais très contente. Je lui ai dit: "Jacques, je n'oublierai jamais ce que vous avez fait pour moi, de bien et de mal aussi"


1- C'était au mois d'Août 1951. L'orchestre a passé les mois de juillet et d'août au casino d'Evian. Puis, il a pris 3 semaines de vacances en septembre. Chaque "saison" commençait vers le 1er octobre. C'est à ce moment-là que les contrats prenaient fin ou étaient renouvelés. En octobre 1951, Ginette Garcin ne fait plus partie de l'orchestre.

Dans son livre, paru 33 ans plus tard, Jacques Hélian écrit exactement: "A la suite de petites mésententes, malheureusement Ginette Garcin nous quitte". RF

VOS REACTIONS

Au sujet de Ginette, je me souviens que Jacques la comparait familièrement à une "sauterelle"...: Il est vrai qu'elle apportait un peu de cette chaleur, de cette sympathie marseillaise qui la caractérisent, mais qui étaient assez peu compatibles avec certaines exigences de rigueur dans l'organisation de ce grand orchestre. Jacques était rigide dans le boulot car, le temps des répétitions, par exemple, étant compté au plus juste, il admettait mal que des retards viennent les perturber. Il va sans dire que cela contrariait par ailleurs quelques relations particulières.

Maurice STOCKY, Paris.

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Cette douce Ginette a une opinion personnelle sujette à caution.
Ginette, chère mère à nous tous, peut-on vous dire un mot? Vous nous avez enchantés il y a bien longtemps et cela ne s'oublie pas. Que de bons souvenirs!
Hélas, maintenant,
LA NUIT JE REVE, mais je fais un cauchemar. Jugez plutôt : Je suis dans une famille d'accueil où une mégère au casque déteint vient me tenir de mauvais propos sur Jacques Hélian! Un cauchemar, un vrai ! Lui qui ne m'a jamais dit la moindre méchanceté sur Ginette!
Il avait découvert une jeune chanteuse, il l'a voulue pétillante, gaie, l'air parfois malicieux; elle était tout cela,
CENT POUR CENT, mignonne, jolie...SI SI SI. Avec un léger parfum de Mistinguett. Il était heureux de lui trouver des chansons qui lui allaient bien : LES JEUNES FILLES DE BONNE FAMILLE (tout un programme!) LE PETIT RAT ou, sublime, LA PETITE VALSE ( et des dizaines d'autres )
A cette époque il y avait du
PAIN SUR LA PLANCHE... MAIS EN ATTENDANT, bien sûr, elle a pris de LA BOUTEILLE. Ah ! Garcin l'hasard n'a pas bien fait les choses... après avoir été une locomotive dans cet orchestre avec tant d'airs et de boogies, il ne reste aujourd'hui que le train arrière.
Au sujet de son
DEPART EXPRESS, Jacques me disait qu'elle voulait imposer son point de vue qui n'était pas celui du chef. UNE SIMPLE HISTOIRE.
Par chance, aujourd'hui, pour Jacques Hélian
TOUT EST TRANQUILLE.

Henri MERVEILLEUX, Paris.